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L'inégalité en pratique : le cas préoccupant des enfants sans acte de naissance au Cameroun

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L'inégalité en pratique : le cas préoccupant des enfants sans acte de naissance au Cameroun Ecole primaire Timangolo, région Est, Cameroum. Crédit : Odilia Hebga – Banque mondiale

Au Cameroun, il est essentiel de détenir un acte de naissance pour pouvoir s'inscrire dans le secondaire. Ainsi, tous les élèves doivent en avoir un pour pouvoir se présenter à l’examen de fin d’études primaires, qui permet d'obtenir le Certificat d’études primaires (CEP) dans le système francophone et le Certificat de fin d’études primaires (FSLC) dans le système anglophone.

Cependant, selon le dernier annuaire statistique publié début 2024, quelque 1,67 million d’élèves n’ont pas d’acte de naissance, soit environ 29 % de l’ensemble des enfants scolarisés. Le problème est plus prononcé au niveau primaire (30,1 %) qu’au niveau préscolaire (11 %). Par ailleurs dans les zones rurales et les zones d'éducation prioritaires, près de la moitié des enfants (47,1 %) n'en ont pas, ce qui représente une proportion alarmante. Le tableau ci-dessous illustre l’ampleur du problème.

Image Ampleur du phénomène des enfants sans actes de naissances par région au Cameroun. Crédit : Banque mondiale

 

Au Cameroun, les enfants sans acte de naissance peuvent perdre entre cinq et six années de scolarité parce qu’ils ne peuvent pas passer le CEP/FSLC au troisième niveau du primaire (CM1/5ème et CM2/6ème année), alors que l’achèvement du premier cycle du secondaire est une condition d’insertion dans la société productive. 

Le coût prohibitif de l'enregistrement est un facteur financier dissuasif pour les familles à faible revenu. Au Cameroun, l’obtention d’un acte de naissance est un processus laborieux, en plusieurs étapes, qui comporte non seulement des coûts financiers mais aussi des coûts immatériels. L'inégale répartition des centres d’enregistrement sur le territoire, en particulier dans les zones rurales ou reculées, vient encore exacerber le problème. Satisfaire aux exigences pour obtenir un acte de naissance lorsque l’enfant a plus de six mois est un parcours incertain pour les Camerounais, comme le décrit l'exemple suivant. 

L'inégalité en pratique : le cas préoccupant des enfants sans acte de naissance au Cameroun Procédure de jugement supplétif au Cameroun. Crédit : Banque mondiale

 

Les Camerounais dépensent en moyenne 32 700 francs CFA (59,5 dollars) pour obtenir un acte de naissance, une somme prohibitive dans un pays où le salaire minimum est de 41 875 francs CFA (71,1 dollars) et où 25,7 % de la population vit en dessous du seuil international de pauvreté de 2,15 dollars en PPA par jour. Cette situation peut expliquer pourquoi de nombreux enfants ne disposent pas de ce document crucial.

L’absence d’actes de naissance et l'impossibilité qui en résulte de passer les examens contribuent de manière significative à la stagnation du taux d’achèvement des études au Cameroun, malgré les efforts déployés pour résoudre ce problème au cours de la décennie précédente.

Fournir à chaque enfant une pièce d’identité est un objectif fondamental visé par l’ODD 16.9 qui prévoit de fournir à tous une identité juridique, notamment grâce à l’enregistrement gratuit des naissances d’ici 2030. Le coût de l’inaction est très élevé. Une note de politique générale de l’équipe éducation du Cameroun a estimé à près de 2 070 273 francs CFA (environ 3 683 dollars) les pertes de revenu subies par les enfants qui n’ont pas pu passer l’examen de fin d’études primaires parce qu’ils n’avaient pas d’acte de naissance. Les pertes de revenu national qui en découlent pour le Cameroun sur un an représenteraient environ 5 milliards 476 millions francs CFA.

Pour aider le gouvernement à s’attaquer à ce problème, une équipe multisectorielle de la Banque mondiale a engagé, en collaboration avec l’UNICEF, un dialogue soutenu sur les politiques au cours des deux dernières années. Un soutien a été fourni par le biais d’instruments de la Banque mondiale, qui ont permis de mettre à jour la loi sur l’état civil pour permettre la numérisation et la simplification des procédures, d’établir un diagnostic complet assorti de recommandations pour résoudre tous les problèmes d’état civil de manière globale et de fournir des incitations au niveau décentralisé pour accroître l’enregistrement des naissances. Une opération spéciale a également été déployée afin de fournir un certificat de naissance aux enfants qui ne pouvaient pas se présenter aux examens cette année. Cet ensemble d'actions souligne l’intérêt des approches holistiques qui prennent en compte les différentes dimensions d’un problème et montre l’importance de la collaboration entre différents secteurs pour résoudre des problèmes complexes.

L’opération spéciale, menée du 1er au 30 avril 2024, visait à la délivrance massive d’actes de naissance à tous les élèves qui ne pouvaient passer les examens faute d’acte de naissance. Cette opération est le fruit d’une collaboration entre l’équipe de la Banque mondiale, le ministère de la Justice et le ministère de l’Éducation. Pour contribuer au succès de cette opération, le ministère de l’Éducation de base (MINEDUB) a prolongé la date limite de dépôt des candidatures aux examens du CEP et du FSLC. Au lieu de la fin du mois de février (date limite annuelle officielle), les étudiants ont ainsi reçu une dérogation et pu s'inscrire jusqu’à la fin avril 2024. Cette prolongation leur a permis d’obtenir leur acte de naissance à temps pour remplir leur dossier d'inscription.

Si l’opération spéciale a permis de résoudre le problème avec succès cette année, il est impératif de trouver une solution définitive à ce problème.

Face aux défis croissants du développement, il est essentiel d’agir de manière décisive pour que toutes les filles et tous les garçons au Cameroun aient accès à une éducation de qualité dès maintenant, tout en continuant à se concentrer sur l’achèvement de leurs études secondaires avec succès et leur transition à moyen terme vers le marché du travail.

5 façons de changer les choses :

  1. Approches holistiques : régler la question de l’acte de naissance nécessite une stratégie multidimensionnelle impliquant divers secteurs, notamment l’éducation, le développement numérique, la justice et la protection sociale.
  2. Collaboration : une collaboration efficace entre les organisations internationales, les ministères et les communautés locales peut conduire à des interventions fructueuses.
  3. Accessibilité et coût abordable : pour accroître les taux d’enregistrement, il est essentiel de veiller à ce que les processus d’enregistrement des naissances soient accessibles et abordables.
  4. Appui aux politiques et aux lois : l’adoption et la mise à jour de politiques et de lois favorables sont essentielles pour rationaliser les processus et surmonter les obstacles bureaucratiques.

Solutions à long terme : des mesures temporaires peuvent apporter un soulagement immédiat, mais des solutions durables et de long terme sont nécessaires pour résoudre les problèmes systémiques. 


Odilia R. Hebga

Chargée de relations extérieures

Reina Ntonifor Epse Mengot

Spécialiste du développement numérique

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